À tout moment dès que l’on parle de yoga, on mentionne le Hatha yoga pradikipa. Je suis sûre que vous avez déjà entendu ce nom !
Mais de quoi s’agit-il exactement ? De quelle époque est ce texte ? Qui l’a écrit ? De quoi parle-t-il ?
Hatha yoga pradikipa : Quand, par qui ?
Le Hatha Yoga Pradipika est un traité écrit en sanscrit, attribué à un célèbre yogi du XVème siècle, Nath Yogi Svātmārāma, un disciple du Siddha Gorakshanath, qui l’aurait popularisé sur tout le continent indien.
Hatha yoga pradikipa : Signification du titre
La signification du titre est intéressante à considérer si l’on veut commencer à comprendre le contenu du livre.
Pradipika signifie «lumière» ou «éclairer», ha signifie «soleil», «tha» signifie «lune» et yoga ou yug signifie «se joindre».
Ainsi, le titre suggère : lumière sur la façon de joindre le soleil et la lune, ou, d’une autre façon : informations sur la manière de dépasser toutes les limites posées par la vie quotidienne où Nature et Esprit sont séparés.
De ce point de vue, le hatha yoga est une pratique tantrique qui tente d’amener une harmonie entre les deux énergies de la vie, l’énergie pranique et l’énergie mentale.
Ces deux éléments peuvent également être décrits comme la shakti, courant frais féminin qui circule à travers le nadi ida, et le mental, courant chaud masculin qui se déplace à travers le nadi pingala.
Quand leur union a lieu dans le canal central (sushumna nadi), c’est l’union du corps et de l’esprit, et c’est l’éveil de la conscience supérieure.
Ce texte, qui comprend 5648 mots, semble être la copie la plus ancienne qui nous soit parvenue sur le Haṭha Yoga.
Il fait partie des trois textes classiques du Haṭha Yoga. Les deux autres sont la Gheraṇḍa saṃhitā et la Śiva saṃhitā. La Centurie de Goraksha (Goraksha-shataka) constitue un quatrième texte.
La plus ancienne copie sur le Hatha yoga
Selon l’avis le plus généralement admis, le Yoga – et particulièrement sa branche Tantrique dont le Hatha-Yoga fait partie – est une science et une pratique multi-millénaire qui trouve son origine en Inde, à une époque bien antérieure à l’arrivée des Aryens.
Le yoga, en dehors des religions, vise l’éveil de la kundalini
Le Yoga n’est apparu dans les textes védiques (Veda, Upanishads, Épopées …) que très progressivement, au fur et à mesure que la tradition védique incorporait des éléments, des puissances divines, des rites et des pratiques de la très ancienne tradition Shivaïte.
Malgré la pression visant à l’incorporer, à l’aryaniser, le Yoga est resté une pratique à part. Ne tenant compte ni de religion, ni de dieux, ni de castes, ni d’aucune différences entre les humains, il continue à se situer, dans la tradition hindoue, en dehors de la religion Bramhanique.
Méthode destinée à amener l’éveil de la Conscience, le Hatha-Yoga base ses pratiques sur l’éveil de l’énergie fondamentale : la Kundalinî.
Par la voie de « l’effort violent » (« hatha »)
Voie de dépassement et de puissance, le Hatha-Yoga est une voie de volonté. C’est la voie de l’effort violent (hatha).
Violence liée à la conscience et à la volonté, de façon à donner une chance au Yogi de se sortir des liens de la Nature. Ces liens sont tellement profondément ancrés dans tous les niveaux de l’être humain, qu’une puissante volonté, s’apparentant à une violence terrible, est indispensable pour avancer sur ce chemin. Mais cette violence n’est pas dirigée contre ou pour quelque chose. Elle n’est qu’énergie fulgurante qui, tel l’éclair, pétrifie le mental et illumine la Conscience.
Correspondance entre l’univers et le corps
Cette discipline repose sur le principe, reconnu depuis l’antiquité védique, de la correspondance de l’univers et du corps. Elle comporte un certain nombre de techniques, dont les fameuses « postures » (âsana), le « rassemblement des souffles » (pranayana) et les sceaux (mudrâ) qui permettent d’apprendre à maîtriser les énergies du corps et de l’esprit.
Ce texte est parfois considéré comme un manuel. Cependant le hatha yoga, comme toutes les vraies pratiques spirituelles, ne se traduit pas aussi facilement en quelques mots. Ce texte ne cherche pas à donner des instructions complètes mais, il est plutôt une source d’inspiration pour ceux qui sont déjà initiés par un guru ( au sens traditionnel, un maître spirituel).
Le Hatha yoga Pradipika est divisé en quatre parties :
- La première partie explique :
– les yamas : règles de vie dans la relation aux autres.
– les niyamas : règles de vie dans la relation à soi-même.
– les asanas (postures)
– et la nourriture. - La deuxième partie décrit :
– le pranayama : contrôle ou limitation de l’a respiration.
– les shatkarmas : pratiques de nettoyage internes. - La troisième partie traite :
– des mudras : sceaux.
– des bandhas : verrous.
– des nadis : canaux d’énergie à travers lesquels circule le prana
– et de la puissance de la kundalini. - La quatrième partie expose :
– pratyahara : le retrait des sens
– dharana : la concentration
– dhyana : la méditation
– et samadhi : l’extase.
En tout, le texte comporte 389 śloka (strophes) divisés en quatre upadeśa (leçons ou chapitres). Parmi ceux-ci, environ 40 traitent des asanas, environ 110 du pranayama, 150 des mudras, bandhas et shatkarmas, et le reste traite de pratyahara, dharana, dhyana et samadhi.
I – Les Asanas : le 1er pas dans le hatha Yoga
Le texte commence par les asanas comme étant le premier pas dans le hatha yoga.
Pour cette raison, il a été appelé yoga à six branches (sadanga yoga), par opposition au yoga de Patanjali à huit branches (ashtanga yoga) qui comprend, comme base, les deux premiers membres, yama et niyama.
- Yama : non-violence, vérité, non-désir, continence, patience, courage, compassion, droiture, modération dans la nourriture, et propreté,
- Niyama : zèle dans le yoga. écriture, modestie, pouvoir discriminant de l’esprit, prières et rituels.
Cependant, le hatha yoga ne néglige pas les yamas et les niyamas. Il est possible qu’à l’époque de Svatmarama, les disciplines éthiques aient été considérées comme acquises, donc il ne juge pas utile de les expliquer en détail.
Les asanas, les pranayamas, les bandhas, les mudras et les shotkarmas sont illustrés par des exemples pour aider les aspirants dans leur pratique.
Pour ce qui est de dharana, dhyana et samadhi, ils ne peuvent pas être expliqués ; ils doivent être expérimentés une fois les premiers pas maîtrisés.
Autant d’asanas que d’espèces vivantes
On dit qu’il y a autant d’asanas que d’espèces vivantes : 840 000.
Cela signifie que les muscles et les articulations peuvent fléchir, s’étirer et tourner de plusieurs milliers de façons.
Le Pradipika, cependant, ne décrit que seize asanas. De même, Vyasa ne mentionne que onze asanas dans ses Yoga Sutras, et il y en a trente-deux dans le Gheranda Samhita. I
Il est possible que les pratiques du yogasana aient été une routine quotidienne si régulière qu’il n’était pas nécessaire d’aborder le sujet en profondeur.
Le yoga n’est pas que postures physiques :
Compte tenu de ces chiffres, nous voyons bien que prétendre que le hatha yoga est uniquement du yoga physique est tout simplement sans objet.
Les yogis étaient en contact constant avec la nature et ils cherchaient des remèdes naturels pour combattre les afflictions. Dans leur recherche, ils ont découvert des centaines d’asanas pour augmenter la force de vie et la ramener à son niveau optimal.
Les asanas ne sont pas seulement des exercices physiques : ils ont des effets biochimiques, psychophysiologiques et psycho-spirituels.
Les cellules du corps ont leur propre intelligence et leur propre mémoire. Grâce à la pratique de différentes asanas, la circulation sanguine est améliorée, le système hormonal est équilibré, le système nerveux est stimulé et les toxines sont éliminées, de sorte que les cellules, les tendons et les nerfs sont maintenus à leur niveau maximum. La santé et l’harmonie physique, mentale et spirituelle sont atteintes.
Le commentaire de Sri Brahmananda résume parfaitement l’effet des asanas :
» le corps est plein d’inertie (tamasique), l’esprit vibrant (rajasique) et le Soi serein et lumineux (sattvique). Par la perfection dans les asanas, le corps paresseux est élevé au niveau de l’esprit vivant et ensemble ils travaillent pour atteindre le niveau de la sérénité du Soi. «
Patanjali aussi déclare que la perfection dans les asanas apporte l’harmonie entre le corps, l’esprit et l’âme. Quand les asanas sont faits avec l’interpénétration des trois, la bienveillance dans la conscience se développe. Alors l’aspirant cesse d’être troublé par les contraires, et l’état d’existence indivisible est expérimenté.
» L’enthousiasme, la persévérance, la discrimination, la foi inébranlable, le courage, en évitant la compagnie des gens ordinaires, sont les six causes qui apportent le succès dans le yoga. »
HYP I: 16
« Paschimottanasana est le meilleur parmi les asanas. Par cet asana, les courants praniques montent à travers sushmna, le feu digestif augmente, l’abdomen devient plat et le praticien devient libre de maladies. »
Hatha Yoga Pradipika I: 29
II – Pranayama
La deuxième partie est consacrée principalement au pranayama et à ses techniques. Pranayama signifie « prana vrtti nirodha » ou « maîtrise de la respiration », qui est intrinsèquement instable. Selon Svatmarama,
« Quand le souffle est agité, l’esprit est instable, mais quand le souffle est calmé, l’esprit sera aussi tranquille. »
(II:2)
Le pranayama chasse les toxines et corrige les perturbations de l’humeur, de l’air (vata), de la bile (pitta) et du flegme (kapha).
Tous les textes de yoga, y compris ceux de Patanjali, sont catégoriques : on doit acquérir la perfection dans les asanas avant de pratiquer le pranayama.
Ce point est négligé aujourd’hui ; beaucoup de gens pensent que n’importe quelle posture assise confortable est assez bonne pour la pratique du pranayama, et que le pranayama peut être pratiqué en toute sécurité sans le fondement de l’asana.
Svatmarama met en garde:
« Par la pratique défectueuse du pranayama, le yogi invite toutes sortes de maux. »
II:16
Comme nous l’avons vu, les asanas, aussi importants soient-ils pour la santé et l’équilibre du corps, ont un objectif plus profond : diffuser la conscience uniformément dans tout le corps, de sorte que la dualité entre les sens, les nerfs, les cellules, l’esprit, l’intelligence et la conscience soit éradiquée, et que tout l’être soit en harmonie.
Lorsque les systèmes nerveux, circulatoire, respiratoire, digestif, endocrinien et génito-excrétoire sont nettoyés par les asanas, le prana circule sans obstacle jusqu’aux cellules les plus isolées et les nourrit avec une abondante ration d’énergie.
Ainsi rajeuni et revitalisé, le corps – l’instrument du Soi – s’approche du but suprême, la Réalisation du Soi.
Prana :
Le prana est une force auto-énergisante.
L’inspiration inonde et fusionne les deux éléments opposés de la nature – le feu et l’eau – de sorte qu’une nouvelle énergie bioélectrique, appelée prana, est produite. Le prana neutralise les fluctuations de l’esprit et agit comme un tremplin vers l’émancipation.
Le pranayama stocke le prana dans les sept roues d’énergie –chakras– de la colonne vertébrale, de sorte qu’il peut être déchargé au besoin pour faire face aux bouleversements de la vie.
Patanjali déclare que « la maîtrise du pranayama enlève le voile qui recouvre la lampe de l’intelligence et annonce l’aube de la sagesse ».
Svatmarama explique les différents types de pranayama et leurs effets, mais avertit que, tout comme un dresseur de lions, tigres ou éléphants étudie leurs habitudes et les humeurs et les traite avec bonté et compassion, puis les met ensuite à l’épreuve lentement et régulièrement, de même celui qui pratique le pranayama devrait étudier la capacité de ses poumons, et rendre son esprit passif afin d’apprivoiser le souffle qui entre et qui sort.
Si le dresseur d’animaux est négligent, les animaux le blesseront. De même, une mauvaise pratique du pranayama sapera l’énergie du pratiquant.
« Quand les nadis sont purifiés, il y a des symptômes externes. Le succès est là quand le corps devient mince et brille. »
HYPII: 19
« En fermant la bouche, inspirez avec contrôle et concentration à travers l’ida et le pingala, de sorte que le souffle soit senti de la gorge au cœur et produise un son sonore. »
HYP II: 51
« La perfection du hatha yoga est atteinte quand le corps est mince, le visage tranquille, quand on entend le son intérieur, quand les yeux sont clairs, qu’il n’y a pas de maladie, que l’on contrôle le bindu (sperme / ovule), quand le feu de la digestion est actif et que les nadis sont purifiés. »
HYP II: 78
III – Bandhas et Mudras
Les bandhas et les mudras sont traités dans la troisième partie.
Bandha signifie verrouillage et mudra signifie sceau. Le système humain a beaucoup d’ouvertures ou de sorties. En les verrouillant et en les scellant, l’énergie divine connue sous le nom de kundalini est éveillée et trouve son union avec purusa dans le sahasrara chakra (le 7ème chakra, le chakra couronne).
Les mudras et les bandhas agissent comme des soupapes de sécurité dans le système humain. Les asanas agissent de la même manière. Tous les trois aident à suspendre les fluctuations de l’esprit, de l’intellect et de l’ego, afin que l’attention soit attirée vers le Soi. L’union de la force divine avec le Soi divin est l’essence de la troisième partie.
« Par conséquent le connaisseur du Yoga qui préserve son sperme vainc la mort. La mort vient de l’émission du Bindu, la vie de la rétention du sperme. »
HYP III: 88
« Celle qui préserve son énergie sexuelle avec la contraction vers le haut est assurément une Yogini. Elle connaît le passé, le futur et a obligatoirement la capacité de se mouvoir dans l’espace (elle se fixe dans khechari, c’est-à-dire que la conscience se déplace dans le royaume supérieur) »
III: 102
« Le yogin qui met régulièrememnt en route la Shakti détient les Siddhi. II se défait de la mort comme si c’était un jeu. Que dire de plus ? »
HYP III:12
« Kutilangi, Kundalini. Bhujangî, Shakti. Ishvari. Kundalî. Arundhati sont tous des synonymes. »
IV – Samadhi
Le samadhi, sujet de la quatrième partie, est la science subjective de la libération, l’expérience de la félicité sans mélange. Avant de parler de Samadhi, nous devons regarder la conscience (citta).
La conscience est une pousse du Soi, comme une graine d’une graine. Comme une branche d’arbre est couverte d’écorce, la conscience est enveloppée par l’esprit. Alors que le concept d’esprit peut être compris par un intellect moyen, celui de la conscience reste insaisissable : il n’est pas facile d’attraper une boule de mercure.
- La conscience a de nombreuses facettes et canaux qui se déplacent dans diverses directions simultanément.
- Le souffle, quant à lui, une fois qu’il a été stabilisé, circule rythmiquement dans et hors d’un seul canal.
Svatmarama, après une étude attentive de l’esprit et du souffle, fait cette constatation : que l’esprit soit endormi, rêveur ou éveillé, le souffle, lui, bouge d’une seule manière rythmique.
De même que l’eau mélangée au lait apparaît comme du lait, l’énergie (prana), unie à la conscience, devient conscience.
Ainsi, les textes de hatha yoga mettent l’accent sur la maîtrise de l’énergie, qui peut être plus facilement réalisée que la maîtrise des fluctuations de l’esprit. Une inspire et une expire régulières et conscientes minimisent les fluctuations et aident à stabiliser l’esprit. Une fois cette stabilité établie à travers le pranayama, les sens peuvent être retirés de leurs objets.
C’est pratyahara.
Pratyahara doit être établi avant que Dhyana (concentration) puisse survenir. Dhyana se jette dans dharana (méditation) et dharana dans samadhi. Dhyana , dharana et samadhi ne peuvent être décrits, mais seulement expérimentés.
Svatmarama dit qu’à travers le samadhi, l’esprit se dissout dans la conscience ; la conscience dans l’intelligence cosmique ; l’intelligence cosmique dans la nature et la nature dans l’Esprit Universel (Brahman).
Au moment où la conscience, l’ego, l’intelligence et l’esprit sont calmés, le Soi, qui est le roi de ceux-ci, fait surface et réfléchit de lui-même. C’est le samadhi.
Mise en garde :
Les pratiques de hatha yoga apportent certains pouvoirs (comme la clairvoyance et la clairaudience) appelés siddhis, à propos desquels Svatmarama met en garde l’aspirant. En effet, s’il ne pratique pas avec la bonne attitude, il y a danger qu’il abuse de ces pouvoirs. (Patanjali qualifie les siddhis d’inutiles et d’entraves au véritable but qu’est la réalisation du Soi).
Svatmarama dit que la pratique doit être faite sans penser à ses fruits, mais avec une attention constante, en menant une vie chaste et en ayant une nourriture modérée. En I:66, il dit que le yoga ne peut pas être expérimenté
« en portant des vêtements de yoga, ou par la conversation sur le yoga, mais seulement par une pratique inlassable. »
Plus tôt, en I:16, il dit:
« Le succès dépend d’une disposition joyeuse, de la persévérance, du courage, de la connaissance de soi, de la foi inébranlable dans la parole du gourou et de l’évitement de toute compagnie superflue. »
Et Patanjali dit,
» la foi, la vigueur, la mémoire vive, l’absorption et la conscience totale sont la clé du succès » .
Svatmarama dit que si la conscience est la graine, le hatha yoga est le champ. Il enjoint donc à l’étudiant de yoga d’arroser le champ grâce à la pratique et au renoncement, afin que la conscience devienne inoxydable et que le Soi brille.
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